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Récitadelles

Tableau composite posé sur le rebord d’une fenêtre d’un hall des bureaux administratifs à la Citadelle de Marseille, où se retrouvent les salarié·es pour leurs pauses-café. Il rassemble une vue aérienne de la Citadelle, une carte postale illustrant un phare dans la tempête et, peut-être sans ironie, une citation “inspirante” d’Henry Ford – symbole du capitalisme industriel et architecte du travail à la chaîne déshumanisé. Dans le reflet de la vitre, on peut apercevoir la présence de l’auteur de la photo (anonyme).

Le projet Récitadelles, dont le nom complet est “Médiation des récits et lectures plurielles du patrimoine”, est une initiative de recherche, de création et d’action portée par Aix-Marseille Université en coopération avec La Citadelle de Marseille. Coordonné par le Laboratoire d’Études en Sciences des Arts (LESA, UR 3274) en partenariat avec l’Institut d’ethnologie et d’anthropologie sociale (IDEAS, UMR 7307 – AMU/CNRS), ce projet est financé par la fondation universitaire Amidex.

Inscrit dans les champs de la médiation et de la création contemporaine, Récitadelles explore la polyvocalité – entendue comme la coexistence de plusieurs voix ou récits – à travers des processus coopératifs d’interprétation du patri·matrimoine. Cette démarche vise à prendre en compte et à soutenir les revendications actuelles d’équité et de justice sociale dans le champ de la culture et du patrimoine, ce dont témoigne notamment la réécriture récente de la définition du musée par l’ICOM – le Conseil international des musées – pour intégrer “la participation de diverses communautés”. Ces revendications demandent aux institutions patrimoniales de revoir leurs fonctionnements et notamment l’écriture et la diffusion de récits qui se font, souvent structurellement, le relais de visions du monde inégalitaires, qui tendent à asseoir des hiérarchies entre les groupes sociaux et entre les humain·es et les non humain·es. L’objectif de ces démarches ne se limite pas à multiplier les récits, mais vise à construire un “monde commun” (Hannah Arendt). Le projet Récitadelles adopte ainsi une approche qui mise sur la contextualisation de relations de pouvoir complexes.

Nous avons choisi de faire évoluer le projet dans le cadre institutionnel de la Convention de Faro du Conseil de l’Europe, qui encourage chaque personne à participer au processus d’identification, d’étude, d’interprétation, de protection, de conservation et de présentation du patrimoine et matrimoine culturels, ainsi qu’à la réflexion et au débat public sur leur rôle sociétal.  

Il prend pour terrain la Citadelle de Marseille, autrement appelé Fort Saint-Nicolas, monument historique surplombant le Vieux-Port de Marseille. Après des siècles d’occupation militaire (fort, prison, caserne, laboratoire vétérinaire) et quelques usages civils (jardin, terrain de jeux des scouts, boulodrome, feu d’artifice, free parties) ce lieu emblématique, aussi réel que fantasmé, accueille depuis plusieurs années des chantiers d’insertion et des plateaux de formation dédiés à la restauration de son patrimoine architectural. Depuis 2021, la Citadelle ouvre progressivement ses portes aux publics. Dans un contexte de cohabitation et de voisinage parfois marqués par des frottements, Récitadelles interroge la multiplicité des usages et des récits, parfois dissonants, de ce lieu chargé d’histoires, plus souvent quotidiennes que grandioses. 

La méthodologie de Récitadelles tente de refléter les enjeux qui sont au coeur du projet en adoptant une méthodologie collaborative, réunissant une diversité de voix : travailleur·euses du site, habitant·es des quartiers environnants, artistes, médiateur·ices culturel·les, étudiant·es, porteur·euses de mémoire, chercheur·euses, artistes-chercheur·euses. Cette approche vise à proposer un espace d’expérimentations à même de questionner, déconstruire et diversifier les pratiques de recherche, création et médiation autour du patri·matrimoine, en intégrant des lectures contemporaines et plurielles de l’espace de la Citadelle et de ses histoires. Tout au long du processus – de la collecte de récits à sa monstration, en passant par une réflexion sur ses enjeux pour la société – Récitadelles interroge les problématiques que ce travail soulève, dans l’objectif de consolider et d’élargir des communautés patri·matrimoniales.

Lancé en octobre 2024 et pour une durée de douze mois, Récitadelles se décline en plusieurs chantiers :

  • des collectes de récits,
  • une résidence artistique,
  • des journées d’étude portées par une communauté de recherche-création-action,
  • des enquêtes de terrain menées par la communauté de recherche-création-action, ainsi que par des étudiant·es de Master 2 en Médiation culturelle des arts d’Aix-Marseille Université, qui travaillent par ailleurs sur la création de dispositifs de médiation numériques avec des étudiant·es en Narrations interactives du DNMADe de l’École Supérieure de Design Marseille,
  • un film ou objet audiovisuel qui documente les processus de travail derrière Récitadelles.

La programmation publique de Récitadelles se décline en séminaires, ateliers de réflexion et d’action sur la polyvocalité, les droits culturels et le patri·matrimoine, sorties de résidence artistique, balades, entre autres formes encore en réflexion, afin de nourrir l’échange entre savoirs critiques et savoirs subalternes, entre création artistique et transformation sociale, entre intérieur et extérieur du site patri·matrimonial.

Le projet Récitadelles déploie une méthodologie expérimentale et évolutive, initiée sous forme d’un archipel d’initiatives avant de structurer progressivement des croisements transdisciplinaires et transversaux.

  • La collecte
  • La résidence artistique
  • Les journées d’étude
  • Les enquêtes
  • Le film

En 2023-2024, l’écrivaine Valérie Manteau a réalisé une première étape de collecte de récits, dont l’objectif était “d’écrire une histoire du Fort Saint-Nicolas à partir de récits récoltés auprès des gens qui le connaissent, qui le pratiquent ou qui s’en souviennent, qui en ont hérité l’imaginaire dans leur légende familiale ou collective”. Elle a rencontré d’ancien·nes employé·es, des salarié·es qui travaillent aujourd’hui dans le Fort, notamment les salarié·es en insertion qui le rénovent, des militaires ou des personnes qui y ont fait leur service militaire, des membres d’associations (amateur·ices de fortifications, boulistes…). Ces témoignages ont été mis en récit dans un document qui s’intitule Les 1001 voix du Fort Saint-Nicolas, où des personnes qui ne se sont peut-être jamais rencontrées s’interpellent, se contredisent, se répondent. En croisant ces récits, Valérie Manteau montre qu’au Fort Saint-Nicolas s’est joué et rejoué le rapport de notre société avec ses marges, avec son passé, son identité et son patrimoine, soulevant des enjeux politiques autour du droit à la ville, de l’espace public, de l’inclusion et du vivre-ensemble.

Depuis octobre 2024, Alice Lancien, sociologue et urbaniste, poursuit ce travail de collecte de récits dans le cadre de Récitadelles. Aujourd’hui, l’enjeu est de faire vivre les communautés multiples qui émergent à travers les collectes de récits (familles d’anciens prisonniers, groupes de scouts qui ont fréquenté le Fort pendant des décennies, habitant·es du quartier…). Il est aussi de continuer d’interroger les relations que le Fort tisse avec la ville, nourries d’attachement, d’intérêt pour ce qui s’y passait et s’y passe aujourd’hui, mais également de tensions autour de ce qu’était et ce que devient ce lieu emblématique de la ville.

Cette année la collecte de récits s’intéresse aux relations de voisinage et aux pratiques quotidiennes des habitants et habitantes du quartier, au rapport qu’ils et elles tissaient par le passé et tissent aujourd’hui avec le Fort.

Catherine avait laissé ses coordonnées à une des médiatrices lors d’une visite à l’été 2024, déclarant être une voisine du fort. Au téléphone, elle déclare être très attachée au fort, tout en ajoutant : “Moi, tout ce que je connais de l’histoire d’ici, c’est passionnel. C’est absolument pas historique, de tout ce qui a bien pu s’y passer… Non, c’est vraiment le côté humain que je connais, moi”.

Nous nous retrouvons une journée pluvieuse d’automne devant le jardin du Pharo. Vêtue d’un jean, de bottes en cuir noir à semelles compensées, elle a les cheveux mi-longs, coiffée d’une casquette en laine grise. Elle a une voix grave et un accent qu’elle qualifie rapidement lors de nos échanges de “titi parisien”. Née à Paris, elle vit entre Bastille et République jusqu’à ses 7 ans, dans le quartier où ses grands-parents juifs polonais s’étaient installés après avoir fui les pogroms dans les années 1930. En 1963, ses parents s’installent au Vallon des Auffes à Marseille. Son père tenait une boutique de meubles rue Venture, tandis que sa mère travaillait comme esthéticienne dans un grand magasin de la rue Saint-Ferréol. Aujourd’hui retraitée, Catherine a travaillé comme exposante de prêt-à-porter de luxe dans des foires. Elle a toujours vécu dans le secteur, ayant déménagé plusieurs fois entre Endoume et le Pharo. Après son mariage, elle réside plusieurs années dans un appartement au 11e étage de la tour du Pharo avec son mari et ses deux enfants. C’est de cette période qu’elle souhaite témoigner, qui s’étend des années 1980 à la période plus récente.

Elle insiste sur la transmission générationnelle des pratiques du quartier, entre ses enfants et ses petits-enfants : “Entre le Pharo et ici, c’est ancré en nous. J’ai fait ça, mes enfants ont fait ça, mes petits-enfants font la même chose. C’est important”.  Alors qu’on s’approche de l’entrée arrière du fort, au fond de l’impasse Clerville désormais close par un portail métallique vert, elle se souvient, émue :  “Parce que nous, on ne rentrait pas par l’autre côté. On rentrait par là. Et moi, à l’époque, j’avais un berger allemand qu’on promenait tous les jours ici. […] Ça a tellement changé. Oh là là ! Vous voyez la porte d’entrée qui est là ? […] Eh bien, à l’époque, il y avait un porche et puis on rentrait par là. C’était ouvert, bien sûr. On entrait comme on voulait. Il n’y avait rien. C’était une colline”.

Captures d’écran d’une vidéo réalisée par Catherine avec son téléphone portable depuis le balcon d’une amie qui réside face au fort. Elle observe et commente le passage des nuées d’étourneaux au-dessus de la ville.

Enfant, Robert a d’abord vécu dans le quartier de Belsunce, au-dessus du cinéma l’Étoile situé boulevard Dugommier qui était tenu par son grand-père paternel, puis s’installe avec sa famille dans le quartier en 1985. Du côté de son père, sa famille est marseillaise, propriétaires fonciers en Ardèche et commerçants. Sa mère arrive quant à elle en 1962 au moment de l’indépendance de l’Algérie. Il qualifie sa famille maternelle du statut de “petit fonctionnaire colonial”, des “petites gens” selon ses termes. Après sont baccalauréat, il fait des études d’archéologie à Aix-en-Provence. À la suite de son doctorat d’État, il réalise des fouilles et des prospections pendant plusieurs années, en lien avec les universités et le ministère de la coopération dans différents pays “de la Méditerranée, d’Afrique du Nord, d’Afrique subsahélienne et d’Amérique latine”. Il garde un très bon souvenir de cette période. À son retour de l’étranger en 1996, il se réinstalle dans le quartier.

Il vit d’abord dans le quartier de Tellene, puis aux Catalans, “près de l’État Major”, une référence géographique significative pour lui qui était officier de réserve de la Marine nationale. Son ancrage dans le quartier est donc lié aux activités associatives, mais également aux liens établis grâce à sa position dans l’armée de réserve opérationnelle qui lui ont permis de tisser des relations avec les différents corps qui occupaient le fort Saint-Nicolas. Il reconnaît avoir peu de relations directes avec le fort: “Moi, j’avais surtout une relation, alors pas avec le fort, mais avec ce qu’il y avait en-dessous”. Au titre d’officier de réserve, il fréquentait alors les souterrains du fort Saint-Nicolas entre la fin des années 1980 et la fermeture du site dans les années 2000, dont il décrit l’ambiance. Il se souvient de moments partagés avec les officiers de l’armée, comme le “petit déjeuner colonial” organisé à l’occasion du départ à la retraite d’un officier.

Aîné d’une fratrie de quatre frères et soeurs, il réside depuis dix ans avec sa mère âgée de 80 ans dans un logement en location proche de la caserne d’Aurelle. Critique sur le regard passéiste et les postures individuelles que peut avoir le Comité du Vieux-Marseille dont il fait par ailleurs partie, il est ouvert à des collaborations avec La Citadelle de Marseille. Il y trouve une réponse à un besoin de reconnaissance de ses propres compétences en tant qu’archéologue et habitant du quartier.

La question de la subsistance économique est également importante pour lui : à 57 ans, il a créé en octobre 2024 sa micro-entreprise, Massalia Archéologia, afin d’être rémunéré pour les visites historiques qu’il réalise à Marseille. Il recherche également, par les liens établis jusqu’à présent avec La Citadelle de Marseille, à être dans une posture d’échange et de collaboration, il reconnaît l’importance de l’ouverture au public du site. Il évoque le fait que ses interventions lors de visites guidées pendant les journées de l’archéologie ou les journées européennes du patrimoine lui permettent d’accéder à des espaces qui ne sont actuellement pas ouverts au public tout en mobilisant ses connaissances et compétences de médiation : “Là, mes compétences, si je les mets au service de la population, pour protéger l’abbaye, par exemple, pour aider éventuellement la Citadelle, si elle m’appelle, par exemple, pour la journée d’archéologie comme ça a été le cas. Parce que je vais apporter quelque chose, et eux ils vont m’apporter quelque chose. […] La Citadelle, je peux aller dans des lieux qui sont pour l’instant interdits au public, en étant accompagné. D’un autre côté, je peux donner mon savoir, moi, lorsqu’il y a des visiteurs qui viennent. Vous voyez, c’est un échange. Chacun y trouve son compte ».

Une adolescence dans les espaces en friche du quartier

Francis jouant avec son frère devant le Palais du Pharo lorsqu’ils étaient enfants.

Dans le récit de Francis d’une enfance et adolescence populaire dans le quartier, le fort Saint-Nicolas se trouvait être au cœur des espaces en friche qu’il fréquentait avec ses amis. Il décrit des pratiques du temps libre qui étaient construites à partir de réseau de lieux plus ou moins accessibles, des“terrain s de jeux incroyables” dans le quartier. Il évoque ainsi les blockhaus à côté du chantier naval vers le cercle des nageurs dans une zone militaire fermée, mais dans laquelle on pouvait accéder par les trous dans les grillages, les parties basses du jardin du Pharo qui étaient “assez sauvages”, et d’autres terrains vagues. Lorsqu’il était accompagné d’amis de son âge, le petit groupe entrait par un trou dans le grillage depuis la rue Ernest Duchêne.

“On vivait avec la présence de ce fort en permanence. Sans vouloir faire Kafka avec la présence du château ! […] À l’époque la circulation était peu importante, et la population du quartier exerçait une surveillance bienveillante sur tous les jeunes du quartier. Et donc, dans le quartier, il y avait beaucoup d’endroits, ça paraît incroyable aujourd’hui, où on pouvait jouer. Et donc, je me souviens qu’on était tout un groupe à se déplacer à bicyclette dans ce quartier, dont un qui avait récupéré un vieux Solex dans une décharge où il n’y avait pas le moteur. On voyait le poids du truc ! Et donc, on allait, on passait. […] On était allé voir au cinéma le Forum, qui était rue d’Endoume, un film avec Johnny Hallyday qui s’appelait À tout casser. Dans ce film, c’est une bande de jeunes qui se baladent en Harley-Davidson. Et il y a une scène où ils sont en Harley-Davidson et ils boivent du champagne. Et sur la route, ils se passent la bouteille ! Et donc aussitôt qu’on a vu ça, on a acheté une bouteille de Fanta ou de limonade. Et nous, on se baladait avec les vélos et on se passait la bouteille !”.

Avec la “bande du quartier”, comme il l’appelle, ils observaient la maison située en dessous du glacis Ouest, à la lisère des actuels terrains de tennis du Pharo. Ils l’appelaient “la maison abandonnée” : “Je me souviens très bien que, gamins, quand on venait avec les vélos de l’autre côté, il y avait une maison abandonnée, une grande maison. Soit les volets étaient ouverts, soit il n’y en avait plus. Et donc, on voyait l’intérieur de la maison. Il y avait un arrosoir qui était accroché au plafond. Alors nous, ça nous faisait… On était sûr que c’était une maison hantée !”

Affiche du film À tout casser avec Johnny Hallyday, sorti en salles en 1968.

Période contemporaine

La promenade dans le fort permet à Francis d’opérer une digression dans le passé d’admirer le caractère exceptionnel du site, mais également de mettre en perspective ses souvenirs avec les changements actuels dans le quartier : “Ce qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui c’est que… tout ce secteur est devenu très bobo, mais moi quand j’étais jeune c’était un quartier très ouvrier, très ouvrier ! Les bourgeois marseillais n’étaient pas là, ils étaient à Perrier, Paradis, quelques uns au Roucas Blanc. Mais le 7ème arrondissement, Endoume ça avait même mauvaise presse à l’époque parce qu’il y avait des laboratoires de drogues, voilà quoi il y avait… C’était un quartier populaire. Ceci-dit moi j’ai jamais senti aucune inquiétude”.

Il décrit aujourd’hui un site unique avec les blocs de calcaire de la roche naturelle, les murs en pierre rose éclairés par la lumière, et les cyprès : “ça a beaucoup de gueule, c’est un site magnifique !”. Puis il ajoute qu’il déplore la construction d’un immeuble à l’intersection de l’avenue de la Corse et de la rampe Saint-Maurice : “Comme tous les gens du quartier on déplore qu’il y ait eu un immeuble qui se soit construit à l’intersection de la rampe Saint-Maurice et de l’avenue de la Corse. Après, on sait bien que Marseille n’est pas une ville riche et que… il faut récupérer un peu d’argent, et puis qu’il faut loger tout le monde. […] Et puis il y a des rapports qui sortent en disant qu’il y a un décalage d’espace vert entre quartiers sud et quartiers nord, donc je pense qu’un rééquilibrage, ça ne choque personne”.

Régis est né en 1981 à Marseille, et a vécu toute son enfance dans le quartier du Pharo, proche des Catalans. J’ai eu ses coordonnées par une salariée d’Acta Vista, une association spécialisée dans l’insertion et la formation professionnelles qui mène des chantiers de restauration du fort. Petit enfant d’immigrés italiens, son grand-père s’installe d’abord dans le quartier de Saint-Mauront dans le 3e arrondissement, puis dans le Panier. La famille s’établit ensuite dans le 7e arrondissement. Ses parents, qui travaillent alors comme fonctionnaires municipaux, vivent quelques années dans la tour du Pharo. Ils s’installent ensuite dans un logement social situé en face du stade Henri Tassot, où sa mère réside toujours, payant aujourd’hui “un loyer dérisoire par rapport à tout ce qu’il y a autour”. Enfant, Régis passe la plupart de son temps au Cercle des nageurs de Marseille, où il est inscrit pour des entraînements sportifs. Ses parents l’y accompagnent pour les entraînements mais ne sont pas membres du club. Il continuera la natation comme nageur professionnel puis reprendra ses études et deviendra ensuite réalisateur, comédien et performeur. Les souvenirs que Régis a de la tour du Pharo sont éloignés du prestige actuel de ce bâtiment moderne construit dans les années 1950 : “Maintenant je sais que c’est devenu a priori un bâtiment un peu coté, il y a des dentistes et tout dedans. Moi, quand j’étais petit, on donnait coté station-service, bas dans les étages, il y avait des cafards à gogo, c’était hyper bruyant, dégueulasse… […]”.

C’est au moment où ils résident dans la tour du Pharo à la fin des années 1980 que Régis découvre le fort Saint-Nicolas, à travers son père qui faisait partie du club des boulistes : “Du coup il y avait une proximité avec le fort et c’était un peu le repère de bonhomme de mon père qui jouait à la pétanque. C’est comme ça que le fort est apparu. Je savais que des fois mon père partait jouer aux boules ! Il partait jouer aux boules à côté, juste à côté. […] À un moment donné j’ai pu y aller. Et c’est là que j’ai commencé à mettre les pieds dans ce terrain des boulistes, là à l’entrée. Alors il y avait quand même dans mon souvenir beaucoup d’hommes vieux, et quelques enfants qui traînaient. Il y a un côté hyper fascinant. Ça reste un fort. Je me rappelle qu’en arrivant je ne comprenais pas ce que c’était que ce lieu. Je pense pas que mon père m’ait expliqué ce que c’était. Mais par contre je me rappelle de ces grosses pierres, de cette entrée… tout était un peu phénoménal. C’est comme ça que j’ai atterri, que j’ai mis les premiers pieds là-dedans : c’est mon père qui jouait aux boules là-bas”.

Le rapport au fort Saint-Nicolas se construit alors au fil des décennies, comme un lieu du quartier qu’on fréquente plus ou moins régulièrement, mais qui marque les différents moments des étapes de la vie, entre sociabilités de quartier et relations familiales. Entre 1995 et 1998 environ, à la période de l’adolescence et de la quête de la transgression, il se rend dans le fort en petit groupe, avec ses amis du quartier. Il se souvient qu’ils traversaient le pont-levis et allaient se poser sur les hauteurs pour voir la vue sur le port : “À l’adolescence, il y avait un délire d’essayer de rentrer dans cet endroit où on se sentait… Où il n’y avait personne en fait ! Et où on pouvait avoir des vues mer et fumer un spliff et…Et voilà. Je retrouvais mes potes avec lesquels j’ai grandi dans le quartier, qui sont encore actuellement mes potes. Mes potes du quartier, mes potes d’école. Qui étaient entre les Catalans et la place Saint-Eugène. Ce n’était pas un truc hyper récurrent. On y allait des fois… En fait, on avait plein d’endroits où traîner… On avait des spots plutôt en haut d’Endoume, vers Saint-Eugène, il y avait des endroits où tu peux aussi avoir de belles vues”.

Quelques années plus tard, entre 2000 et 2005 environ, il se souvient revenir dans le fort, initié alors par son cousin. À cette période-là, Régis était pleinement engagé dans les entraînements de natation. Il rejoignait parfois son cousin qui, avec un groupe important d’amis s’était approprié les lieux, avec la complicité du gardien de l’époque : “Mon cousin est arrivé au quartier un peu plus tard que moi. […] Comme j’étais dans le côté sport, lui il a plus traîné avec les gars du quartier. Vers la vingtaine, c’est lui qui m’a dit : « Mais vas-y, viens ! ». Je suis retombé sur les mecs de mon école qui étaient devenus potes avec mon cousin. Eux par contre ils se faisaient des vraies soirées. Ils jouaient aux boules là-bas, et ils s’étaient fait potes avec le gardien, voilà. […] Il y avait un peu plus de gens, c’était peut-être que les gens du quartier mais eux ils y allaient en meute […]. C’était pas on y va une fois tous les 36, c’était devenu un peu « leur lieu », de ce que j’ai compris quoi”.

Plusieurs années plus tard, alors qu’il était parti vivre au Canada, il se souvient que lorsqu’il rentrait à Marseille ses parents se rendaient parfois dans le fort. Ils s’étaient liés d’amitié avec le gardien du fort qui résidait dans l’actuel accueil de la Citadelle, et avaient pris l’habitude de passer des soirées là-bas entre 2015 et 2020. “Du coup mes parents et les parents de mon cousin allaient au fort mais dans le logement de Marcel, du gardien qui habitait à côté des marches là. […] En fait je ne suis jamais passé par cette entrée. C’est pour ça que quand aujourd’hui on dit que c’est l’entrée officielle (rires) ! Eux ils allaient faire des soirées karaoké chez Marcel, buvette… Et ils traînaient là quoi, dans l’enceinte du fort. Un jour du coup je suis allé boire l’apéro avec eux là-bas”.

Régis déplore en partie l’évolution actuelle du quartier. Il insiste lors de notre échange sur les transformations sociales et l’augmentation des prix de l’immobilier. Après avoir vécu plusieurs années au Canada, il se réinstalle avec sa compagne à Marseille en 2017 mais ne trouve pas d’appartement dans le secteur : “Quand je suis revenu, je me suis dit on va habiter là, parce que bon, on va pouvoir aller à la mer tout le temps et tout. Et en fait, on n’a pas trouvé, pour nos moyens… Alors que ce quartier-là, à la base, il était… Enfin, moi, tous mes potes avec qui j’ai grandi sont entre d’origine algérienne marocaine et italienne, et plutôt de cadre un peu ouvrière, quoi. Sauf qu’il n’y a plus personne de mon enfance qui habite là-bas maintenant, ils ne sont plus là”.

Il regrette en partie le fonctionnement antérieur de certains espaces à Marseille et s’interroge sur l’accessibilité actuelle des espaces publics de la ville. “Marseille, c’est un peu… C’était un joyeux brouillon, un bordel où il y avait des choses qui étaient soi-disant réservées ou fermées et qui en fait étaient… C’est spongieux, quoi. Ça pouvait se traverser d’une manière ou d’une autre. Il y avait quelqu’un qui avait les clés ou qui connaissait quelqu’un qui connaissait. Et au final, ça marchait. C’était aussi… C’était un peu vide, mais c’était d’une manière aussi un peu habité, quoi”.

À propos du projet actuel de la Citadelle de Marseille, il n’y trouve pas tout à fait sa place, posant un regard critique sur le fonctionnement des jardins, leur accessibilité et la place donnée aux personnes qui fréquentaient ces lieux auparavant : “Je me dis, mais c’est vrai, qu’est-ce que c’est beau, ce lieu en centre-ville. Mais du coup, d’être si cloisonné officiellement, ça le rend pour moi un peu aseptisé. Quand j’y vais, je… Il y a des horaires d’entrée, des jours où tu peux, des jours où tu peux pas, il y a une guérite à l’entrée, on te dit bonjour, pas bonjour, là, tu peux y aller, là, tu peux pas y aller. Moi, je préfère qu’il soit fermé, y aller tout seul, et en fait, du coup, j’y fais ce que je veux, ou que ça soit ouvert tout le temps, et que je sois libre. Et pas me dire : « Bon, aujourd’hui, la Citadelle, c’est ouvert de 13h à 14h, donc, courons-y, on y va, puis t’arrives, et il y a des barrières, là, tu peux, là, tu peux pas, là, il y a un cordon »… et en fait, ça rend le truc un peu musée. Et quand je vais au musée, je vais au musée, je vais pas marcher, ou me poser. […] Avant il y avait plein de gens qui y allaient. Est-ce que ces mêmes gens qui allaient à l’époque y vont ? Pourtant, il est ouvert, maintenant. […] Après, j’ai peut-être mal été habitué au Canada, mais au Canada, les parcs sont ouverts. Il n’y a pas de… pas de grille d’ouverture et de fermeture. Et le fort, le Pharo, tout ça, c’est des trucs où il faut regarder les horaires pour aller au parc. Heureusement, aux Catalans, ils ont réussi à le prolonger un peu. Mais, je veux dire, tout ce qui est espace public devient un endroit à être géré, et négocié par une entité qui dit tu peux y aller, tu peux pas y aller. Et en fait, du coup, moi, c’est pas mon feeling de l’espace public. J’y vais… C’est mon droit d’y aller quand je veux. La nuit, le matin tôt, sur des horaires qui me vont, pas des horaires où quelqu’un décide de quand je peux aller dans l’espace. […] Pour moi, c’est comme ça qu’un lieu, peu importe, vestige, origine, truc… doit vivre. Sinon, en fait c’est un musée : « Là, tu y vas, là, tu y vas pas ». Et je trouve que du coup, ça casse le fait de se dire tu rentres de la plage, le soleil se couche à 21h, 22h, tu te dis, vas-y, viens, on passe par le fort, il y a tout, il y a une super belle vue. Ah, ben non, c’est fermé. Bon, ben, vas-y, on y ira la prochaine fois. Ouais, mais attends, faut regarder, le samedi, là, il y a une visite. Enfin…”.

J’obtiens les coordonnées de Catherine et Thomas par leur ami Francis, qui m’invite lors d’un apéritif organisé chez eux un vendredi soir d’hiver. Ils résident au dernier étage d’une résidence qui donne directement sur le fort. Après être passé à pied devant l’entrée du parking de la résidence, il est nécessaire de traverser plusieurs portes à digicode pour entrer dans le bâtiment qui conduira chez Catherine et Thomas, au dernier étage de l’immeuble.

L’appartement est grand, spacieux, et ouvre sur deux terrasses, l’une donnant sur le fort avec le Vieux-Port au loin, et l’autre ouvrant sur la mer, à l’Ouest. La cuisine américaine donne sur le salon, où est disposée une grande banquette drapée d’un tissu aux motifs africains. Plusieurs couples d’amis sont invités lors de cet apéritif, pendant lequel nous échangeons de manière informelle sur leur rapport au fort Saint-Nicolas. Thomas, vêtu d’une chemise bleue à motif et d’un petit foulard noué autour du cou, connaît bien le quartier et se plaît à observer et commenter la vie du du fort depuis sa terrasse: “Les boulistes ils viennent tout le temps ! Ils étaient là avant…”, s’exclame-t-il.

Photographie prise par Alice Lancien lors de l’entretien chez Thomas et Catherine.

Thomas et Catherine sont originaires de Paris. Ils s’installent à Marseille en 2008, d’abord à la Pointe Rouge. Mais le quartier est jugé trop éloigné par Catherine, qui préfère la proximité des services et des commerces au calme d’un quartier résidentiel excentré. Lors de l’entretien réalisé quelques jours plus tard, Thomas m’explique le compromis opéré avec sa femme pour le choix de leur lieu de résidence, et la valeur ajoutée de la vue sur le fort Saint-Nicolas : “Dans le 8ème, à la Pointe Rouge, les gens sont très fermés sur leurs propriétés. Et donc ici, elle recherchait à la fois la convivialité, le côté humain, disons, l’activité économique, les commerçants, les facilités. Et puis, un truc très important pour elle : la vue. Et la vue en particulier sur la Citadelle. Qui n’était pas recherchée avant, mais qui, quand on est arrivé ici, qu’on a visité pour la première fois, nous a sauté aux yeux”.

Ils s’installent dans cette résidence du quartier du Pharo en 2009 et achètent l’appartement après y avoir vécu un temps en location. Thomas est ingénieur agronome et chercheur spécialisé dans l’halieutique, tandis que Catherine, qui travaillait dans le secteur culturel à Paris, s’est accommodée d’un emploi comme responsable marketing à la chambre de commerce et d’artisanat en arrivant à Marseille. Depuis le salon qui donne sur le fort, Thomas évoque la période des feux d’artifices en juillet, qui sont tirés depuis les glacis Ouest, ce qui lui permet d’affirmer qu’ils “vivent avec le fort” : “On voit les préparatifs qui sont importants, parce qu’ils veulent éviter le feu, donc autrefois, en tout cas, il y avait un débroussaillage monumental, qui était opéré, puisque c’était un peu une friche, quoi. Donc on y avait droit, ça nous rappelait quand même… Ah ! Ça va être le feu d’artifice ! Vous entendez le bruit des débroussailleuses pendant, allez, deux, trois jours, et puis ils démarraient à 6 heures du mat’. Voilà, donc on vit avec le fort et son activité depuis longtemps”.

Le discours de Thomas est caractéristique de certaines relations de voisinage, où la co-visibilité ne donne pas forcément lieu à des échanges et des interactions. La posture d’observation est très présente dans son discours, sans doute influencée par le lieu où nous réalisons l’entretien. Cela lui permet ainsi d’évoquer la dimension sonore de la proximité avec le fort : “le son est extrêmement bien transmis, et des fois, on peut entendre les verres qui s’entrechoquent. Ils sont quand même à 50 mètres, peut-être…entre 50 et 80 mètres. Mais des fois, on a l’impression d’être avec eux !”.

Puis il poursuit en développant son intérêt pour la faune et la flore qu’il observe depuis sa terrasse. Il scrute minutieusement les différents oiseaux qui parcourent l’espace, qu’il souhaiterait davantage arboré. À propos des espaces des glacis Ouest : “Ils ne sont pas accessibles, ils ne sont pas publics, hein. Surtout la partie proximale, là, c’est réservé à certaines personnes dont on ne fait pas partie. […] On observe, on voit comment ça se passe. Il y a des chats, il y a des oiseaux, moi, j’observe beaucoup les oiseaux. Il y a de la vie, quoi. Mais bon, ce n’est pas avec nous, ce n’est pas grave, hein. C’est plaisant, quand même. Même si, moi, je regrette beaucoup de ne pas avoir un peu plus d’arbres, mais je vois très bien ce que ça peut représenter comme problème, et… Je trouve que c’est assez minéral, quoi. Ici, on est très minéral. […] Les petits passereaux, là, encore ce matin, là, j’avais un magnifique rouges-queues. Les passereaux, ça se balade, hein, quand même. Donc… Et sans parler des faucons. Des fois, j’ai même vu des faucons crécerelle, des trucs un peu rares. Mais souvent… Bon, la plupart du temps, c’est des crécerelle. Et puis, qu’est-ce qu’il y a ? Bon, évidemment, il y a des pigeons, il y a des rats, il y a des chats. Voilà, la faune, qu’est-ce qu’il y a de caractéristique ? Des fois, des petites… Surtout en été, hein, des petites chauves-souris”.

Pour autant, le rapport qu’entretiennent Thomas et Catherine avec le fort ne se limite pas à une relation de co-visibilité. Favorable à son ouverture récente au public, le couple fréquente le fort de manière ponctuelle, comme des visiteurs, lors des journées d’ouverture et lors d’activités culturelles proposées par la Citadelle de Marseille. Ce mode de fréquentation préexistait cependant avant l’ouverture au public en 2024. Le couple trouvait des occasions de pénétrer à l’intérieur de l’enceinte du fort lorsque c’était possible, notamment lors des journées européennes du patrimoine : “Il y a eu des journées portes ouvertes, de toute façon, les journées du patrimoine par exemple, de manière systématique, avec des accès qui étaient difficiles, par exemple à la cour carrée, qui n’est pas carrée, mais qu’on appelle comme ça, ce n’était pas toujours ouvert. C’est vrai que c’était un endroit qui n’était pas d’accès évident dans son intégralité. Mais nous, à chaque fois qu’on avait l’occasion de le faire, on a essayé, et sans difficulté. Il y a eu des périodes même où si mes souvenirs sont justes, à l’époque où l’armée était encore assez impliquée, c’était ouvert, enfin il y avait des visites qui étaient possibles, même en dehors des journées du patrimoine”.

Thomas regrette cependant le caractère impersonnel de l’accueil dans le fort actuellement, en comparaison de ce qu’il imagine d’un gardiennage qui aurait pu exister auparavant : “Moi je ne connais pas les gardiens, j’ai l’impression que souvent c’est plus des gens qui font de la sécurité tout venant, ils feraient ça à un supermarché ce serait pareil. Avant, je pense qu’il y a dû y avoir des concierges, des gens qui étaient assignés à la résidence là et qui vivent là-dedans”.

Aujourd’hui, Thomas regrette l’évolution du quartier avec l’augmentation du tourisme qu’il a pu observer depuis 2013 qui a provoqué le départ de certains habitants : “Par exemple, il y a des gens qu’on a connus ici et qui sont partis d’ici parce qu’ils trouvaient qu’il y avait trop de monde, trop de mouvements. C’est allé quand même croissant ces dernières années depuis 2013. On a senti une grosse différence en matière de fréquentation, notamment touristique”.

“Il y a très peu d’endroits que j’ai vu s’ouvrir quoi”. Thomas évoque la fermeture progressive de certains espaces dans le quartier, du fait de sa résidentialisation : “Il y a eu la fermeture de pas mal d’endroits. […] Par exemple nous, pour aller à l’école maternelle, on traversait les HLM militaires qui se trouvent à l’Anse du Pharo. Et là, tout a été bouclé, fermé, plus d’accès… En bas il y avait un jardin, en bas de la tour. Pareil : avant il était ouvert et il a été fermé. Enfin tout va dans ce sens… […] ll y a très peu d’endroits que j’ai vu s’ouvrir. Sauf ben justement la Citadelle. Et encore… dans des conditions extrêmement maîtrisées, je veux dire. C’est à certaines périodes de la journée et compagnie. Enfin moi, ça m’apparaît très bien”.

Faisant de la mise en place de dynamiques collectives un processus créatif, nous envisageons la posture artistique comme un pas de côté permettant la rencontre dans l’espace quotidien. Des registres variés pourront être mobilisés au fil des semaines pour des actions artistiques, allant de la pratique plastique à la performance, en passant par l’apprentissage de techniques créatives ou l’échange oral par exemple.

Nous partons systématiquement des histoires que l’on rencontre pour construire des lectures et interprétation contemporaines de ce qui fait patrimoine. Un premier chapitre se concentre sur la polysémie du mot insertion, qui fait directement référence aux chantiers de rénovation de la Citadelle, en place depuis vingt ans. A travers le projet ambitieux de la Citadelle, on croise de multiples intentions : Qui s’insère dans quoi? Comment ? Pourquoi?

Nous avons choisi de mobiliser trois médiums que nous utilisons particulièrement dans nos pratiques, comme trois manières d’interagir avec les personnes et les espaces :

Manon Lefébure est une artiste plasticienne et designer qui crée à la croisée de l’artisanat et de l’écriture. Se servant des sentiments intimes comme matière première, elle tente de faire résonner à travers ses objets, des émotions collectives et universelles auprès des publics, avec qui il lui arrive souvent de collaborer. Dans sa pratique du chant, Manon Lefébure, sous son pseudonyme Miaule Mort, utilise un looper vocal qui lui permet de mettre en musique live des récits. 

Tom Hébrard est designer et co-fondateur du label d’arts visuels OYÉ, qui travaille sur la transition écologique à travers l’art, le design et l’enseignement. Il a notamment co-développé un outil de projection low-tech, le visiophare , fabriqué à partir d’un rétroprojecteur d’école, qui permet de composer des récits visuels immersifs, à projeter en intérieur ou sur des façades de bâtiments. Sa devise : créer des imaginaires pour un futur souhaitable, les mettre en action et les diffuser.

Ensemble, nous mettons une emphase sur les outils participatifs, conviviaux, qui favorisent la rencontre et floutent le rapport entre pratique amateure et professionnelle. Un art à visée sociale et d’éducation populaire.


Pour son premier temps public, Récitadelles a coorganisé avec la coopérative Hôtel du Nord un atelier consacré aux conditions d’exercice du droit au patrimoine et matrimoine culturels, qui s’est tenu le jeudi 28 novembre 2024 à Aix-Marseille Université, sur le site Saint-Charles. Cet événement s’inscrit dans un contexte où plusieurs initiatives, à Marseille, questionnent et agissent autour du droit au patrimoine et matrimoine culturels et de leurs conditions d’exercice. Ce droit ne se limite pas à la participation à la vie culturelle, mais constitue également une responsabilité partagée, qui engage à repenser la relation entre les communautés patri·matrimoniales et les institutions patrimoniales.

L’exercice du droit au patrimoine et matrimoine en tant qu’approche coopérative entre l’institution et la société civile est souvent complexe à mettre en œuvre et traversé par de multiples tensions, notamment quand il concerne des récits dits dissonants, conflictuels, invisibles, minorisés. Les institutions oscillent entre des réflexes de conservation et une volonté de dialogue et d’innovation face aux revendications des communautés patri·matrimoniales.

L’atelier a constitué un premier espace d’échange sur les conditions d’exercice du droit au patri·matrimoine culturel, dans une perspective élargie de réflexion collective sur l’évolution des politiques publiques patrimoniales à Marseille. Il a réuni des membres de Récitadelles et de la coopérative Hôtel du Nord, la délégation au Patrimoine de la Ville de Marseille, des membres du réseau francophone de Faro, ainsi que des représentant·es de trois expériences invitées :

  • Les Archives invisibles (Manifesta 13),
  • Prendre place – Rue des musées, Musée de la Rue (Musée d’Histoire de Marseille, Archives municipales et Noailles Debout !, en partenariat avec Hôtel du Nord),
  • Mémoire des sexualités.

Ces trois initiatives ont exploré des questions clés :

  1. Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser au droit au patri·matrimoine ?
  2. Quels lieux, rituels et cadres d’hospitalité patri·matrimoniale avez-vous imaginés et mis en œuvre ?
  3. Quelles transformations avez-vous observées dans vos pratiques ?

Le dialogue entre ces expériences, Récitadelles et les représentant·es de la Ville de Marseille s’est articulé autour de la notion d’hospitalité. Cette dernière a été définie comme une situation sociale permettant de tisser des liens entre communautés patri·matrimoniales et institutions publiques. Les discussions ont notamment porté sur les moyens de concevoir des conditions d’hospitalité accueillantes, susceptibles de faciliter la coopération entre communautés et action publique.

Un deuxième temps public autour de ces questions est prévu au premier semestre 2025.

Récitadelles déploie plusieurs enquêtes de terrain et investigations en recherche-création-action, structurées “en archipel”. Cette approche vise à établir des liens entre les problématiques, méthodologies et questionnements propres à chaque participant·e tout au long du processus. L’objectif final est de formuler une hypothèse méthodologique commune pour mener des projets de recherche-création-action collectifs et horizontaux, en interrogeant les relations de pouvoir dans un contexte de polyvocalité, particulièrement autour de l’exercice du droit au patri·matrimoine.

Ces enquêtes sont menées par les groupes suivants.

Les étudiant·es en deuxième année de Master en Médiation culturelle des arts mènent, pour l’année universitaire 2024-2025, leurs projets tutorés à la Citadelle de Marseille dans le cadre de Récitadelles. Cette initiative s’inscrit dans une coopération avec les étudiant·es en Narrations interactives du DNMADe de l’École Supérieure de Design Marseille (ESDM).

Les étudiant·es des deux parcours se sont réparti·es en quatre groupes de recherche-médiation, chacun explorant l’une des quatre thématiques suivantes : les souterrains ; femmes & féminismes ; les luttes ; le travail. Les points d’entrée possibles pour ces terrains d’investigation incluent un lieu, un récit, une personnes, ou une combinaison ou pluralité de ces éléments.

Des actualités de leurs recherches en cours est disponible sur le blog du parcours Médiation culturelle des arts.

Texte en cours de rédaction.

Étudiante du M2 en Médiation culturelle documentant les graffitis sur les murs des anciennes cellules de prison du fort.
Fiche sur les graffitis d’une ancienne cellule, extrait de l’Étude et sondages des graffitis du Fort d’Entrecasteaux (atelier ARCOA, 2022).

Le film documentaire sur Récitadelles se conçoit comme une œuvre collective, documentant et interrogeant les processus de recherche, de création et d’action qui composent le projet.

Objet audiovisuel hybride, il mobilise la diversité des acteur·ices impliqué·es – chercheur·euses, étudiant·es, artistes, travailleur·euses du site, habitant·es – dans une démarche de co-création qui reflète la polyvocalité au cœur du projet.

Inspiré par l’anthropologie visuelle et sensible, le film tisse une narration composite mêlant images d’archives, captations amateurs et professionnelles, et séquences issues d’ateliers de médiation et d’écriture spéculative. Cette approche expérimentale articule documentation scientifique et fabulation, réflexivité critique et engagement sensible, pour explorer l’archipel qui compose Récitadelles.

Le processus de fabrication favorise une redistribution de l’auctorialité grâce à des ateliers d’écriture et de montage collectifs et une collecte participative d’images et de sons. Pensé comme un documentaire de création expérimental au format court ou moyen métrage, il permettra de valoriser le processus du projet, sa méthodologie et ses résultats auprès du public.

Il s’adresse notamment aux programmations orientées vers les nouvelles écritures en sciences sociales ainsi qu’aux espaces de médiation culturelle du projet, pour continuer à tisser des liens entre savoirs critiques et imaginaires collectifs.